Changement d'horaires et pouvoir de direction de l'employeur : Principe et exceptions

La Cour de cassation a récemment durci sa jurisprudence relative au changement d'horaires en intégrant la prise en compte des droits fondamentaux (droit au repos, droit à la vie personnelle et familiale).

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Il est habituel de dire que les horaires de travail du salarié relèvent du pouvoir de direction de l'employeur. Cela est juste, au moins en principe.

Dans un arrêt du 3 novembre 2011 (n°10-14.702), la Cour de cassation semble apporter une clarification quant à la ligne de démarcation entre changement des conditions de travail (qui relève du pouvoir de direction de l'employeur et n'est, par conséquent, pas soumis à accord du salarié) et modification du contrat de travail (qui nécessite rencontre des volontés et donc accord du salarié).

Dans les faits, une salariée à temps plein travaillait six jours par semaine, de 5h30 à 10h et de 15h à 17h du lundi au vendredi et de 7h30 à 10h le samedi. Sans toucher à la durée du travail, l'employeur, estimant que cela relevait de son pouvoir de direction, avait notifié une modification de la répartition des horaires à la salariée. Il lui demandait désormais de venir travailler de 15h à 17h30 et de 18h à 21 h du lundi au jeudi, de 12h30 à 15h et de 16h à 21h le jeudi et de 10h à 12h30 et de 17h à 20h le samedi.
Ainsi, était seule modifiée la répartition de ses horaires de travail sur la journée, sans que soient modifiées ni la répartition de ces horaires entre les jours de la semaine, ni la durée du travail (qui est, rappelons-le, un élément essentiel du contrat de travail, ne pouvant en aucun cas être modifié sans l'accord du salarié).

La salariée s'appuyant sur un mouvement jurisprudentiel ayant tendance à considérer que le changement d'horaires, dès lors qu'il constitue un certain bouleversement, ne relève plus du pouvoir de direction de l'employeur mais nécessite l'accord du salarié, demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail, invoquant ainsi un manquement de son employeur à ses obligations contractuelles. Ce raisonnement est suivi par les juges du fond, la Cour d'appel de Dijon estimant que l'employeur aurait dû recueillir l'accord de la salariée pour modifier ses horaires de travail comme il l'a fait et admet la résiliation judiciaire, qui s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation, qui a compétence pour se prononcer exclusivement sur le droit et non sur les faits, casse l'arrêt de la Cour d'appel en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée aux torts exclusifs de l'employeur.
La haute Cour, dans une forme très solennelle, vise l'article L. 1121-1 du Code du travail (relatif au principe de liberté dans l'entreprise et à ses limitations) et l'article 1134 du Code civil (relatif à la force obligatoire du contrat entre les parties) et pose l'attendu de principe suivant :
"Attendu que sauf atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos, l'instauration d'une nouvelle répartition du travail sur la journée relève du pouvoir de direction de l'employeur". 

Ainsi, cet arrêt se place sur le terrain des droits fondamentaux pour poser deux tempéraments au principe du pouvoir de direction de l'employeur, à savoir, le droit au respect de la vie personnelle et familiale et le droit au repos. On notera qu'une simple atteinte ne suffit pas pour considérer qu'il y a modification du contrat de travail, dans la mesure où la Cour fixe le curseur à une atteinte excessive.
Dans l'espèce, le fait d'avoir invoqué (pour la salariée) et reconnu (pour la Cour d'appel) le bouleversement des conditions de travail ne suffit pas, dans la mesure où la preuve d'un retentissement excessif sur la vie personnelle et familiale ou sur le droit au repos n'est pas apportée. La Cour de cassation sanctionne effectivement un manque de motivation (défaut de base légale).

On constatera que, ce faisant, la Cour de cassation tend à rapprocher les droits des salariés à temps plein de ceux des salariés à temps partiel, pour lesquels elle avait déjà décidé que la modification des horaires journaliers pouvait être refusée pour des raisons familiales impérieuses (Soc. 09/05/2001, n°99-40.111).

Le Code du travail (art. L. 3123-24) prévoyant également la possibilité pour les salariés à temps partiel de refuser une nouvelle répartition de leur durée du travail entre les jours de la semaine et les semaines du mois, on peut légitimement s'interroger sur la portée de cet arrêt (bien que l'attendu de principe soit rédigé en termes plutôt restrictifs) quant à une re-répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine pour un salarié à temps plein. Il nous semble que tout projet de modification des horaires du salarié, à l'intérieur d'une même journée ou entre les jours de la semaine, devrait à l'avenir, par prudence, être envisagé au regard des deux tempéraments nouvellement posés.
 

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